Les deux documents ci-dessous renvoient aux inégalités sociospatiales inhérentes à l’agriculture commerciale. Il s’agit en effet d’une agriculture technicisée qui nécessite des capitaux importants, ce qui implique que cette activité n’est pas à la portée de tous. Ces inégalités s’avèrent d’autant plus criantes que, dans certains cas, cette agriculture très rentable côtoie dans l’espace des situations sociales marquées par une grande précarité.
Pour ne pas en rester à la simple considération que les inégalités sociales s’expriment sous une forme spatiale, il est intéressant de convoquer la notion de justice spatiale. Cette notion, issue de la géographie radicale américaine, est définie par un de ses principaux théoriciens, Edward Soja, comme : « tout ce qui touche à la distribution équitable et juste dans l’espace des ressources socialement valorisées et des possibilités de les exploiter » (Soja, 2009). Elle permet ainsi de considérer l’espace comme un ressort central des processus d’inégalité. Et cela est particulièrement pertinent en ce qui concerne l’agriculture du fait de la ressource fondamentale qu’elle nécessite : la terre. Outre l’exemple de cette immense exploitation horticole qui jouxte des habitats précaires, ce détour par la notion de justice spatiale permet de saisir combien la question de
l’accès à la terre est cruciale pour comprendre la coexistence d’une agriculture traditionnelle précaire et d’une agriculture commerciale dynamique et rentable. L’accès à la terre, lui-même déterminé par le capital financier et la position sociale, détermine le type d’agriculture pratiqué et l’importance des revenus qui en sont retirés.
La question de la concentration des terres, processus conditionnant la pratique d’une agriculture commerciale de grande ampleur, est ainsi cruciale. Mais il est très difficile d’obtenir des informations en la matière : quand on interroge les entrepreneurs pour savoir comment ils ont acquis leurs terres, les réponses se font évasives. Souvent, les entrepreneurs ont hérité de terres, qui leur ont permis de lancer l’activité, et ont ensuite agrandi leur domaine, par des achats progressifs. Mais difficile de savoir à qui étaient ces terres auparavant et à quoi elles étaient utilisées... Parmi les rares réponses obtenues, un floriculteur explique que les terres qu’il a achetées appartenaient à des petits producteurs de maïs, mais s’empresse de préciser qu’elles étaient à vendre. Un horticulteur nous avoue avoir jeté son dévolu sur un champ attenant à ses propriétés, et nous le montre : des fèves y sont cultivées. Il semble donc bien que ce soit l’agriculture traditionnelle d’autoconsommation qui fasse les frais de la concentration des terres.