La presse quotidienne se présente comme une fenêtre ouverte sur les représentations sociales et spatiales à l’égard desquelles elle fonctionne tout à la fois comme une empreinte et une matrice. Dans la mesure où elle révèle les connaissances et les croyances des principaux acteurs qui y font entendre leur point de vue, elle donne matière à penser à ses lecteurs dont les attitudes et les comportements peuvent évoluer en conséquence.
Publié traditionnellement au format papier, le contenu des journaux est désormais de plus en plus souvent accessible sur leur site internet où les articles sont archivés. Ainsi, l’Organización Editorial Mexicana (OEM), une grande société mexicaine regroupant notamment 70 journaux quotidiens, met en ligne les articles publiés dans El Sol de Toluca. Fondé en 1957, ce journal est lu par nombre d’habitants de l’agglomération.
Des requêtes très simples – en l’occurrence « Nevado de Toluca » et « Xinantécatl » – effectuées sur le moteur de recherche que propose le site de l’OEM ont permis de collecter les articles évoquant directement le volcan du Nevado de Toluca et son espace protégé. Ils ont été réunis dans un corpus textuel qui a fait l’objet d’analyses textométriques au moyen de deux logiciels open source (IRaMuTeQ et TXM). Ce corpus réunit au total 358 articles publiés en huit années, entre début 2008 et fin 2015 (Figure 2).
Visible depuis la ville de Toluca, le volcan fait partie du cadre de vie de ses habitants, ils s’intéressent à ce qui s’y passe. En quels termes le volcan est-il évoqué dans la presse quotidienne ? Le contenu des articles s’organise autour de quatre mondes lexicaux (Figure 3) qui donnent une idée des principales représentations tenues à l’égard de cet espace habité. Les termes les plus représentatifs permettent de caractériser chacun de ces mondes, du plus au moins vaste.
Le premier monde lexical (classe 1) s’attache aux divers usages du sol, à leur emprise spatiale et à leur évolution (Figure 4). Il y est d’abord question d’eau. Fonctionnant comme un château d’eau, le massif volcanique du Nevado de Toluca reçoit des précipitations dont il faut favoriser l’infiltration. Cette ressource hydrique doit permettre de satisfaire ensuite les besoins croissants de la consommation domestique, mais aussi des activités agricoles et industrielles. Dans cette perspective, la qualité du couvert forestier et la durabilité des pratiques agropastorales sont questionnées. Les journalistes rendent compte des inquiétudes concernant une éventuelle dégradation environnementale (fragmentation de la forêt et parasitisme des arbres, ravinement et érosion des sols, disparition ou raréfaction d’espèces animales) et des efforts visant à garantir les services fournis par les écosystèmes à la société mexicaine.
Le deuxième monde lexical (classe 4) met la focale sur les modalités de gestion de l’espace protégé (Figure 5). Les journalistes suivent de près les politiques publiques en matière de conservation et de restauration écologique. Créé en janvier 1936, le parc national du Nevado de Toluca a été recatégorisé comme aire de protection de la faune et de la flore en octobre 2013. Aussi le nombre d’articles liés au volcan s’accroit-il sensiblement en 2013 et en 2014 (Figure 2). Les décideurs et les gestionnaires des échelons de gestion fédéral, étatique et municipal, mais aussi des organisations non gouvernementales s’y expriment tantôt pour expliquer et soutenir le projet de reclassement tantôt pour manifester un désaccord et révéler des problèmes de mise en œuvre. Pour sortir par le haut de ce débat public, les politiques s’efforcent de montrer la pertinence des dépenses effectuées dans le cadre des programmes de restauration pour atteindre les objectifs d’une gestion durable.
Le troisième monde lexical (classe 2) souligne toute l’ambiguïté de la neige (Figure 6). Culminant à 4 680 mètres, le massif reçoit des précipitations nivales. Sa partie sommitale se couvre d’un manteau blanc qui fascine la population environnante. En fin de semaine, maints curieux prennent la voiture en famille et tentent de s’en approcher au plus près. Les articles décrivent les problèmes de circulation et de sécurité qu’un tel cortège suscite chaque année et la mobilisation des autorités qui tentent d’en réduire l’acuité. Mais avec l’hiver viennent également des conditions météorologiques qui mettent à l’épreuve les habitants du massif montagneux. C’est pourquoi une aide publique fournit aux communautés les plus fragiles des couvertures, des habits chauds et de quoi s’alimenter pour faire face à la baisse des températures.
Enfin, un quatrième monde lexical (classe 3), plus restreint, est structuré par quelques activités spécifiques qui sont parfois susceptibles d’engendrer des problèmes de sécurité (Figure 7). Le cratère du volcan et les versants qui le dominent se présentent comme un haut lieu en tant que manifestation territoriale d’un système de valeurs. Des fouilles archéologiques ont révélé que ce paysage culturel doit autant aux caractéristiques environnementales qu’aux pratiques sociétales. À plus grande échelle, les lagunes du Soleil et de la Lune servent d’emblème et leur accès a dû être réglementé pour les préserver des véhicules motorisés. Ces sites font encore néanmoins l’objet d’une forte fréquentation. Des éleveurs y font paître leurs vaches, des citadins viennent s’y détendre quelques heures, des compétitions sportives y sont organisées, des alpinistes partent à l’assaut du point culminant… On y joue, on s’y perd et parfois on y meurt ; il n’est pas rare que les services de sécurité doivent intervenir. Les drames et la violence s’affichent volontiers à la une dans la presse mexicaine.
Au total, ce corpus d’articles permet d’explorer les différentes modalités de l’habiter dans un espace protégé. Bien que le volcan surplombe les plaines et plateaux qui s’étendent alentour, il reste à l’ombre des grandes agglomérations voisines : attirés par le panorama des hautes terres, les citadins y accrochent leurs éléments de connaissance, leurs émotions et leurs projets d’actions. Malgré ses biais, la presse quotidienne se fait le miroir déformant des tensions et des consensus relatifs aux dimensions esthétique, politique et rationnelle d’un haut lieu.