L’exploitation communautaire des ressources forestières, enjeux et inégalités

À l’échelle mondiale, les forêts fournissent aux communautés, un large éventail de produits répondant à leurs besoins : construction, combustible, fourrage, produits alimentaires et médicinaux, dont certains sont commercialisés. Elles constituent de ce fait une ressource précieuse, quelles que soient les multiples régulations mises en place par l’État. Le Nevado de Toluca se trouve continuellement, comme de nombreux espaces protégés mexicains, entre deux logiques de gestion : celle de droit conçue par l’État et celle de fait accommodée par les communautés rurales pour répondre à leurs besoins quotidiens. La régulation menée par l’État de l’exploitation du bois à des fins commerciales est la plus répressive. Les sanctions vont de la confiscation du matériel de coupe ou de traction à l’emprisonnement, ces fortes restrictions ont parfois incité certains à l’exploitation clandestine ou à certains « arrangements » financiers entre paysans, autorités communautaires et État. L’exploitation des produits ligneux tels que le bois de chauffage et la perlilla et des produits non ligneux (champignons, pâturages, plantes, etc.) est en revanche plus tolérante et reste de fait largement communautaires.

L’exploitation du bois

Les forêts mexicaines couvrent 55,3 millions d’hectares, dont 80 % sous le régime de la propriété collective, mais parmi lesquels moins de 20 % présentent un schéma de gestion forestière communautaire. Les politiques forestières d’appui aux communautés depuis les années 1980 ont permis dans quelques cas de développer une gestion communautaire remarquable d’un point de vue social, économique et écologique, mais restent insuffisantes pour parvenir à une exploitation durable. En effet, le secteur forestier représente moins de 1 % du PIB national, la déforestation annuelle est estimée à 500 000 ha dans les cas les plus pessimistes et sur les 14 millions de personnes vivant dans les forêts, la moitié se trouve en situation d’extrême pauvreté. Deux facteurs majeurs ayant une incidence négative sur le développement du secteur forestier sont reconnus : (i) la complexité, les coûts et exigences des démarches pour l’obtention d’un permis légal d’exploitation ; et (ii) une faible compétitivité économique des produits forestiers mexicains sur le marché international.

Le statut de parc national a limité toute intervention légale d’exploitation du bois par les communautés. En revanche, certaines communautés dont seulement une partie des terres se trouvent à l’intérieur du parc, ont pu mettre en place une exploitation de leurs forêts situées à l’extérieur depuis les années 80. L’intérêt économique de cette activité est cependant limité puisque la plupart des communautés ne vendent pas le bois transformé, mais directement sur pieds ou en grume. Seule la communauté d’Agua Bendita possède des scieries pour transformer son bois. Par ailleurs, la distribution des revenus issus de l’exploitation forestière est souvent très inégale au sein des communautés : en principe, seuls les ejidatarios ou comuneros touchent les revenus. Toutefois, dans certains cas les autres membres peuvent bénéficier de l’exploitation forestière si des règles internes prévoient un investissement d’une partie des revenus dans des ouvrages communautaires (ex. : école, église, etc.) ou si des membres non titularisés peuvent participer aux travaux forestiers et être rémunérés en conséquence.

Le plan de gestion élaboré suite à la recatégorisation du Nevado de Toluca s’avère également être une source d’inégalités intercommunautaires. En effet, il définit un zonage en fonction des activités autorisées parmi lesquelles l’exploitation forestière sur environ un tiers du parc (18 000 ha). Les communautés dont les forêts se situent à l’extérieur de cette sous-zone n’auront donc toujours pas la possibilité légale d’exploiter leurs forêts.

La coupe illégale à Agua Blanca

Le bois est nécessaire pour la construction et le chauffage

Les forêts du Nevado produisent un bois de grande qualité qui est utilisable pour la construction et le mobilier. L’artisanat ne donne pas encore lieu à une réelle filière, il est pratiqué très marginalement et sans réel but commercial. Le petit bois (leña) ramassé en forêt est utilisé pour le chauffage. Le bois est également une ressource essentielle dans les communautés les plus pauvres, dont les maisons sont en bois et dont le principal système de chauffe reste le poêle à bois.

Le cas d’Agua Blanca

La communauté villageoise d’Agua Blanca est la plus pauvre de l’aire protégée. Elle n’avait pas, jusqu’à la recatégorisation, le droit d’exploiter le bois des forêts alentour. Néanmoins, par nécessité, une coupe illégale très locale y prenait place. Sur la photo ci-dessus, on voit que le bois est nécessaire pour la construction des maisons et autres bâtiments, pour le chauffage (qui se fait au poêle) et pour la construction des clôtures. Il en résulte un important défrichement aux abords immédiats du village. Des plans de reboisement prennent place dans la zone « dégradée », mais leurs effets sont limités par la divagation incontrôlée des bêtes, principale ressource agricole de la communauté.

La scierie d’Agua Bendita

L’entreprise des frères Vilchis, telle qu’elle se présente aujourd’hui, a été créée en 2007. Elle emploie 60 personnes et est l’une des plus grandes de la région avec ses 5-6000 m3 de bois produit par an. La scierie assure la coupe des arbres de 11 ejidos, répartis sur deux municipes d’Amanalco. Le bois est acheté sur pieds, après négociation du prix avec les ejidatarios, qui leur octroient alors un permis pour l’exploitation sur leurs parcelles, puis coupé, débité en planche et commercialisé comme bois d’œuvre ou bois de construction dans l’ensemble de l’État de Mexico. Les arbres coupés ont auparavant été sélectionnés par les ingénieurs forestiers de Probosque et de la Semarnat.

Dans la communauté, de nombreux propriétaires se sont laissés séduire par l’idée d’une reconversion de leur parcelle de pommes de terre en une parcelle de forêt grâce à l’aide initiale des programmes de reforestation. Pour Martin Vilchis, de tels programmes sont non seulement bénéfiques pour les revenus économiques, personnels (puisque le choix de reboiser est propre au propriétaire de la parcelle) et communautaires, mais aussi souhaitables pour l’environnement (purification de l’eau, captation du CO2, etc.).
(Source : entretien avec les frères Vilchis, Cirad-ENS de Lyon, 2012-2015)


La scierie d'Agua Bendita

Une exploitation du bois lucrative et raisonnée

Une église à San Miguel Oxtotilpan





San Miguel Oxtotilpan, une commune pratiquant une exploitation lucrative, diversifiée et raisonnée de sa forêt

San Miguel est une des communes les plus riches de l’aire protégée. Aux revenus de la mine partagés avec San Fransisco, s’ajoutent les revenus de l’exploitation forestière qui se pratique depuis longtemps dans la forêt hors des limites de l’aire protégée. Celle-ci se couple avec une participation à de nombreux programmes de reforestation, qui génèrent eux aussi des bénéfices importants. Ceux-ci sont équitablement distribués entre les membres de la communauté (et ne profitent donc pas au seul commissaire ejidal), en témoignent les maisons, toutes construites en dur. Ils sont également investis dans des équipements collectifs tels que les routes, nombreuses et bien entretenues, un projet écotouristique et les églises du village. La communauté en compte deux, une dédiée au Saint Patron du village, l’autre à la Vierge Marie. Avec la recatégorisation, l’exploitation forestière sera bientôt étendue aux forêts à l’intérieur de l’aire protégée.

Un projet écotouristique à San Miguel Oxtotilpan

Les autres usages de la forêt

La forêt est un espace largement pratiqué par de nombreux acteurs. À la coupe du bois s’ajoutent ainsi d’autres activités : cueillette de perlilla, qui permet la fabrication de balais utilisés dans Toluca et à Mexico, de mousse, qui garnit les crèches à Noël, écorce pour allumer les feux, champignons pour la consommation personnelle et la vente, miel et plantes médicinales. Si la chasse est formellement interdite dans certaines communautés, elle est autorisée dans d’autres. Certains éleveurs viennent également faire paître les ovins dans les sous-bois.
La forêt est également perçue comme un espace largement récréatif dont le potentiel est à exploiter, comme à San Miguel Oxtotilpan, qui a lancé un projet de chalet écotouristique.
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