Entre les murs des fraccionamientos

Le Mexique est aujourd’hui l’un des pays du monde où les inégalités sont les plus importantes. L’urbanisation du Mexique est à l’image de la situation économique et sociale du pays : la qualité de l’urbanisation et de l’urbanité peuvent être très inégales. La forte croissance métropolitaine que connait l’aire de Mexico, mais aussi certaines des grandes villes mexicaines s’accompagne d’une explosion des contrastes sociaux et urbains. Elle débouche souvent sur une montée de la violence et se traduit par la multiplication des quartiers fermés « fraccionamientos », sur le modèle des gated communities états-uniennes, pour la bourgeoisie et les couches moyennes en capacité de rembourser leurs prêts immobiliers, augmentant ainsi la fragmentation et les inégalités sociospatiales.
Dans l’aire urbaine de Toluca, on peut prendre l’exemple de Calimaya et de son fraccionamento Villa del Campo.

Le poids des lobbys privés et de leurs stratégies immobilières dans l’accès au logement : Au Mexique, les constructeurs immobiliers ne se contentent pas de construire et de vendre leurs biens, ils font aussi des prêts immobiliers afin d’étendre l’offre au plus grand nombre. Cet accaparement par le secteur privé des programmes d’aide et des prêts individuels s’est accentué dans les années 2000. En effet, avant 1995, seules les institutions gouvernementales pouvaient faciliter l’accès au logement via des prêts.
Photo d’une vidéo publicitaire, au sein des locaux de CasaGeo, à Valle del Campo.
Le vidéo explique comment le promoteur immobilier prend tout en charge, et la publicité frappe par sa vision idéaliste d’une vie dans un fraccionamiento.

Des fraccionamientos pluriels : les quartiers fermés au Mexique

Deux grosses tendances sont à noter aujourd’hui en ce qui concerne la construction des fraccionamientos, résultant de facteurs économiques, politiques et sociaux différenciés :
1) La construction de quartiers réservés à une population relativement aisée issus pour la plupart du temps de l’immigration ou provenant du District fédéral.
Ces formes-là se rapprochent le plus de la forme « traditionnelle » états-unienne. C’est ce que J. Backely appelle le life style community, les communautés de prestige et qu’il distingue des « quartiers de haute sécurité » destinés aux classes moyennes et qui sont des logements sociaux résidentialisés.
2) La construction quartiers composés des logements sociaux destinés à des populations plus modestes.
La tendance étant au logement groupé, de grands groupes de constructeurs, tels qu’Ofavit, misent sur des logements accessibles au plus grand nombre en surfant sur une politique sociale du logement lancé par le président Fox (2000-2006), reprise par Calderon et continuée par le président actuel. Si au début des années 2000, les maisons d’intérêt social étaient construites et prises en charge par le gouvernement, elles le sont aujourd’hui par les constructeurs immobiliers.

Cette démocratisation du concept états-unien de gated community s’accompagne d’une nouvelle façon de concevoir le modèle, avec différentes formes d’habitations et différents degrés de fermeture. C’est ce que nous avons remarqué en nous promenant autour de la ville : certains quartiers ont des murs plus haut, certains ont des vigiles en plus des barrières électroniques à l’entrée, etc. Il existe donc un gradient, une stratification du niveau de protection qui rend compte d’une stratification de la population, par type de revenu.

Les murs de la segmentation et de la ségrégation

Ces vagues successives de construction fragmentent fortement les villes puisque les stratégies urbanistiques se tournent de plus en plus vers la construction de quartiers résidentiels fermés. Pourquoi de telles orientations ? Pour répondre à la demande en lien direct avec la présence de Mexico : les principales villes influencées par l’arrivée de gens vivant ou travaillant à Mexico sont Toluca, Metepec et Calimaya. Ces trois villes sont attractives : cadre agréable et pratique, entre le volcan et leur lieu de travail, sécurité, offres de logement diversifiées et de standing.

Ségrégation humaine

Il est très frappant de constater à quel point ces fraccionamientos sont à l’écart de la ville. Il est encore plus frappant de voir comment les visiteurs totalement étrangers au quartier sont accueillis par les autorités et les habitants eux-mêmes. Nous avons dû laisser une pièce d’identité à l’entrée et mettre une étiquette « visiteur » à notre voiture afin de circuler sans attirer trop l’attention. C’est une mesure sécuritaire qui garantit aux résidents ce qu’ils sont venus chercher, c’est-à-dire la sécurisation et la tranquillité, même si cela contribue à ériger une nouvelle frontière dans la ville.

« La population a triplé depuis 1991, en comptant les habitants des fractionamientos. Ce sont des gens qui viennent du District, ils sont à l’écart, un peu comme une autre communauté » le délégué à l’urbanisation du municipe de Calimaya, Manuel Carnacho Alvarez.

L’espace se divise donc en fonction du type de revenu et les liens entre les habitants (ceux venant de la capitale, et ceux résidant à Calimaya depuis longtemps) restent très limités. Nous pouvons donc ajouter à cela une ségrégation économique, via une sélection précise de la clientèle. En effet, chaque promoteur immobilier à une cible à convaincre, avec des critères bien précis qui excluent totalement les autres strates de la population d’un éventuel achat.
Extraits de l’entretien réalisé avec le délégué à l'urbanisation du municipe de Calimaya, Manuel Carnacho Alvarez



VIDEO

Ségrégation spatiale

« On aura probablement perçu en filigrane que la commercialisation résidentielle dans les gated communities correspond à une mise sur le marché d’un produit par nature ségrégatif. Le mur renforce physiquement la ségrégation » (Le Goix, 2001).

Dans un premier temps, nous pouvons dire que ces fraccionamientos se construisent dans des terrains en périphérie des villes auxquels ils sont rattachés, car ce sont les seuls grands terrains disponibles, et ce phénomène accentue la séparation physique d’avec le centre. La rupture physique est aussi accentuée par les murs d’enceinte, les gardes et les barrières de sécurité à l’entrée.

Les murs de l’indépendance ?

On peut se poser la question suivante : à quel point ces fraccionamientos sont-ils des territoires détachés de la ville à laquelle ils appartiennent juridiquement ? Ces quartiers semblent en effet être des territoires à part entière, avec leurs propres services, leurs propres espaces récréatifs et leurs propres gestions internes (Borsdorf, Hidalgo, 2009).
En plus de la zone résidentielle, il y a une zone commerciale. Seuls l’école et le centre de santé sont à l’extérieur. Cependant, dans les deux villes que nous avons visitées, suivant nos observations et le témoignage de plusieurs habitants, nous pouvons dire que si ces quartiers sont autonomes et sont par certains aspects des territoires à part entière, ils sont aussi et surtout des parties de ville.
Étant jugés autonomes par les autorités de la ville et par les habitants eux-mêmes, ils ne sont pas desservis par les bus de la commune, ce qui rend l’accessibilité difficile en éloignant et en isolant encore davantage les habitants. Il faut impérativement avoir sa propre voiture : en moyenne, à Valle del Campo, chaque foyer dispose de deux voitures. Cela se traduit par la nécessité entretenir les routes (à la charge du promoteur normalement) et augmente considérablement le trafic. Dès lors, l’augmentation de la population liée aux fraccionamientos augmente les besoins de la ville dans de nombreux domaines à savoir certains services publics (construction de nouvelles écoles) et l’accès à l’eau potable. Les impôts que payent les habitants des fraccionamientos servent à payer tout cela, mais ne permettent pas à la ville de stocker et de récupérer de l’argent.

De nombreux conflits apparaissent donc de ce rapport difficile entre la ville et ses quartiers fermés, du fait même de cette proximité dans la distance qui rend les fraccionamientos illégitimes aux yeux des populations vivant au centre. Perçus comme extérieur à la ville, ils ne devraient pas bénéficier des services publics municipaux. La complexité de ces rapports vient aussi du fait que ces fraccionamientos ont leurs avantages : consommation plus importante, offre d’emploi dans la construction, etc.
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